Cher grand frère,

J'ai longtemps hésiter avant d'écrire. Des années, maintenant. De très longues années. La rancœur me fait toujours aussi mal. J'ai grandi dans ton ombre, dans le rejet permanent de parce que tu étais le plus choyé, le plus désiré d'entre nous deux. Malgré l'accident que j'ai été dans cette putain de famille catholique, est-ce que je n'avais pas non plus le droit à juste de la reconnaissance ? C'était trop demandé, apparemment. J'ai appris à vivre avec, on se fait à tout. C'est un peu comme si je pouvais te raconter ce qu'est ma vie depuis que j'ai quitté l'Allemagne, le lendemain de mes dix-huit, sans jamais me retourner.

Il me faut d'abord te dire, qu'est-ce qu'il m'a décidé d'aller vivre à Skëlton. J'ignore si tu te souviens de ce séjour que j'ai fais au lycée, un échange scolaire avec Skëlton. C'est là que j'ai rencontré ma plus proche amie, d'ailleurs. On a donc gardé contact et une amitié durable s'est tissé, au fil du temps. Je n'avais qu'une idée en tête : aller là-bas. Tout me paraissait meilleur que l'enfer dans lequel je vivais. Cette terre promise que je revoyais souvent, ressortait souvent dans mes peintures. Des grandes plaines verdoyantes, ce vent qui balaye la terre. Cette île me semblait être le début d'une toute autre vie et ça a été le cas.

En revanche, cette fameuse nuit a bien bouleversé mes plans. Plusieurs semaines après mon arrivée, je marchais tranquillement le long de la falaise. Les vagues s'écrasaient contre les brisants, c'était un spectacle magnifique. Quelque chose est venu perturber ma balade. Au loin, deux hommes. Je les ai vu jeter une silhouette inerte dans le vide. J'ai vite compris qu'ils venaient de se débarrasser d'un corps. Prise de stupeur, je n'ai pas bougé et ça a été mon erreur. J'imagine qu'il ne fallait pas de témoin à  cette scène. Ils m'ont vu. J'ai su. J'ai su que c'était lui ou moi. Un seul des deux m'a pris en chasse. L'homme a trébuché sur une pierre m'attrapant et nous sommes au sol, son arme au sol. Plus rapide, l'arme entre mes doigts, j'ai tiré. Une balle entre les deux yeux. La chance. Je devais ma vie uniquement à la chance. J'ai commencé à pleurer toutes les larmes de mon corps mais je devais faire vite, je savais que son pote allait revenir. J'ai abandonné le corps, gisant sur les pierres ensanglantées. Je n'ai pas dormi de la nuit, ruminant les événements. Jamais je n'aurait pensé ôté la vie. Maintenant, ça me paraît dérisoire. C'était la première mais je ne le savais pas encore. Le poids trop lourd à porter, j'ai avalé tous mes vasodilatateurs avec une demi-bouteille de vodka. Je n'explique pas mon geste, encore aujourd'hui. Ma colocataire m'a retrouvée, je ne suis pas morte d'une hémorragie. Je ne devais pas être née et pourtant, la mort ne semblait pas vouloir de moi.

Suite à cet événement, j'ai eu besoin de repos et j'ai beaucoup réfléchi sur moi-même. Qu'est-ce que je voulais pour moi ? Qu'est-ce que j'allais faire sans études secondaires en poches ? Je me suis réfugié dans mes carnets, dans mes toiles. Je ne trouvais pas, je me sentais véritablement perdue. Puis, ce jour de tempête, j'ai rencontré Lars et tout a changé. Je n'ai jamais su comment le remercier de tout ce qu'il a fait pour moi. Il a cru en moi, m'a donné la force que je n'avais plus. C'est lui qui m'a appris à me défendre. Quand j'ai su quoi faire, il m'a aidé à trouver mon local pour ma boutique et m'a aidé à investir. Lars, c'est le grand-frère que tu n'as pas été, mon ange-gardien. Un mentor. Il a fait de moi son sous-patron, quelques années plus tard, et je me sentais plus assurée. J'aurai donné ma vie pour lui. J'aurai dû lui donner, ce fameux jour horrible. Je me revois, tenue par les gardes de cet enfoiré de chef d'Hilmar. J'hurlais, je me débattais. J'étais impuissante à ce qu'il se passait devant mes yeux. Lars, agenouillé sur les pavés de la place d'Hilmar, un couteau sous la gorge. Cet enculé lui a tranché la gorge, son dernier regard a été pour moi. Les miens ruisselaient de larmes. Je m'en suis voulu et je m'en veux encore aujourd'hui. N'avoir rien pu faire pour empêcher ça. Je n'ai, d'ailleurs, toujours compris comme ça a pu arriver. Quoi qu'il en soit, je vis avec l'idée d'anéantir ce mec qui nuit à la plupart de l'île. Je rêve de lui réserver le même sort, bien que je trouve cette mort trop douce pour lui. J'attends le moment propice où je sortirai de l'ombre pour le réduire à néant.

Aujourd'hui, j'ai une vie plutôt stable. Je n'ai besoin de personne. J'ai conservé mon poste de sous-patron. Je ne sais pas pourquoi il m'a gardé, d'ailleurs, mais je ne m'en plains pas. Je fais tourné mon commerce, qui commence seulement à se faire un petit nom. Sûrement parce que j'ai appris seule à restaurer les moindres vieilleries qui ont un minimum de potentiel. Je ne roule pas sur l'or non plus mais ça me va amplement. Je pense que tu ne pouvais pas t'imaginer que je puisse m'en sortir à ce point-là. Pour toi, je n'ai toujours été qu'une épave, qui aurait dû couler sous le poids de l'indifférence. Je ne veux jamais te revoir, ni même nos parents. J'ai ma vie. Le passé est enterré comme toi, dans ta cage dorée.

Adieu,
Bailey.